En début d’année, j’ai reçu un joli message de l’organisation du Rallye Aïcha des Gazelles pour me proposer de rejoindre l’équipe des photographes officiels de l’édition 2019. On me prévient que ça va être dur (et spoiler : ça l’est) mais les mots « Sahara » et « Bivouac » me mettent l’eau à la bouche. Je ne me sens pas forcément légitime pour faire des photos de sport, surtout automobile, et mon côté écolo est tiraillé entre l’impact que peut avoir un tel événement et l’expérience humaine de dingue que ça peut être.
Finalement, la question de la légitimité et mon appréhension à être à la hauteur ont vite été balayés par mon côté « plus ça fait peur, plus faut y aller », et après de longues heures à me renseigner et à méditer sur l’aspect environnemental, j’ai pris la décision d’accepter. Je ne vais pas vous dire que mettre des dizaines de 4×4 dans un désert m’enchantent mais l’événement est très bien géré de ce côté là (gestion des déchets sur place, etc.), des alternatives commencent à émerger (voitures électriques, panneaux solaires sur place), l’aventure a un volet social et humanitaire très important (et extrêmement bien rodé, l’association Coeur des Gazelles est incroyable), bref, l’aventure a ses défauts mais j’avais très envie de la vivre malgré tout, .
Me voilà donc au port de Sète pour prendre un énorme bateau en direction de Tanger avec les concurrentes, rencontrées la veille lors des vérifications techniques et du départ officiel à Nice. Deux jours entourée par l’eau, deux jours au ralenti à prendre des photos et à lire bercée par le soleil. J’ai déjà publié sur mon site pro (ici) une première partie du reportage réalisé mais j’avais aussi envie de partager comment j’ai vécu cette mission un peu plus personnellement et c’est là que c’est cool d’avoir un blog (souvent délaissé de longues semaines…) pour partager un peu les backstages !
L’attente pour monter dans le bateau est interminable (heureusement, de gentils organisateurs me nourrissent de quelques bouts de fromages), une fois à bord je mange rapido une pizza dégueu avec Céline Dion et Didier Barbelivien en fond musical (plus kitch qu’un bateau italien tu fais pas) et je file au lit, les deux premières journées ont été très éprouvantes (et ce n’est que le début). Le lendemain matin, j’ai pris une grosse claque quand je suis sortie sur le pont, le bateau est tout blanc, la mer à perte de vue, d’un bleu profond, tout ça mélangé au grand soleil… Mon corps souffre mais je lui impose encore de longues journées avec les appareils. Et puis on a toujours peur de rater quelque chose de cool en photo. Il y a tellement de filles, c’est dur de réussir à toutes les avoir, j’avais trop peur d’en décevoir.
Moi et ma passion pour les trajets en train avons découvert les trajets en bateau et c’est carrément trop cool. Même principe de « t’es coincé ici, t’es obligé de lire et de te reposer » (le bonheur et le temps qui passe au ralenti) sauf qu’en plus on a de l’eau partout autour et un décor hyper photogénique à coup de grands murs blancs et lignes très graphiques. J’ai adoré et ce fut l’occasion de nouer des liens avec les très nombreuses participantes de cette édition. Les filles sont toutes adorables et on passe beaucoup de temps à discuter avec chacune, c’est chouette d’apprendre à les connaître. Il y a tellement d’histoires différentes. J’ai pris conscience de tout ce qu’il y avait derrière une participation, la recherche des sponsors, les doutes sur le départ, ce n’est pas l’aventure de 15 jours mais de plusieurs années de préparation.
Ça m’a aussi permis de prendre du temps pour moi et ce n’était pas du luxe vu les deux semaines qui m’attendaient… Même si parfois c’est un peu long et qu’il me tarde d’arriver, ce décor est tellement fou que je voudrais rester là encore de longues journées à chercher à avoir LA photo parfaite.
Une fois arrivés au Maroc, il fallait rejoindre le premier bivouac à 9h de route. Heureusement, j’avais deux super pilote / co-pilote qui étaient aux petits soins, Toujours prêts à m’aider avec mes sacs, à me refiler des polaires pour que je me fasses des coussins et des couvertures à l’arrière du 4×4 (et des M&M’s), et pour rien gâcher ils écoutaient du rock de papa ❤️.
Moi qui peut dormir dans n’importe quelle situation, je n’ai pas vu le trajet passer. Je leur avais juste demandé de me réveiller chaque fois que ce serait beau et ils n’ont pas failli à leur mission. C’est fou comment les paysages marocains sont variés… On peut passer de la forêt américaine aux roches de la Jordanie, du désert de sable au désert de sel… Chaque fois que je fermais et re-ouvrais les yeux, j’avais l’impression d’être dans un nouveau pays.Cette rivière de palmiers n’est-elle pas dingue ?
Ça c’est Lionel, un de mes super pilotes. Je crois que ce qui m’a le plus marqué lors de ce rallye, c’est l’extrême gentillesse de TOUS les organisateurs. Ils sont nombreux à être bénévoles et à faire ça par passion, avec leur propre véhicule et ça transparait de suite. Tu vois qu’ils sont tous heureux d’être là, toujours de bonne humeur, ils ont toujours des mots rassurants et tout doux pour les filles qui vivent des moments assez durs (et même du chocolat caché dans leurs glacières pour les moments les plus durs). Et je dois dire que j’ai eu énormément de chance car j’ai partagé chaque journée avec des gens extraordinaires. Mais ça je vous en parlerai un peu plus loin… Avant de vous raconter mes journées, j’ai envie de vous faire faire un petit tour au bivouac !
C’est assez fou. Et tellement bien pensé. Le premier truc que je remarque, c’est que la gestion des déchets est vraiment bien rodée (bouteilles d’eau pour faire des meubles recyclés par une coopérative du pays, déchets organiques que les paysans du coin viennent récupérer, etc). Chaque « poste » a son camion ou sa tente (les médecins, le PC course, les journalistes, etc). Il y a une grande tente « réfectoire » (avec une équipe de folie derrière les fourneaux), et un grand espace où on monte chacun notre tente pour la nuit. Et en parlant de ça, la première fois que je me suis réveillée au milieu de la nuit dans ma tente, j’ai touché autour du moi et là : du sable partout, mon duvet, plein de sable, mon visage, plein de sable… Bon c’est plus perturbant que gênant à vrai dire 😂. C’est donc dans des grands bivouacs comme celui-ci qu’on dormait presque tous les soirs. Quelques fois on restait dans le désert après la journée de course et c’était encore plus magique (le « grand » bivouac est aussi dans le désert mais bref, vous m’aurez comprise).
Nous les photographes, on était dans le camion « com » où toute la journée une super équipe trie les photos des filles au fur et à mesure qu’on les prend et mets les infos en direct sur le net pour leurs proches. Le soir quand on rentrait, après avoir fini nos petites missions « photos », on passait la soirée à trier et traiter les photos best-of du jour, celles qui allaient être publiées sur Facebook, pour le reste, c’était l’équipe qui gérait. J’avoue c’était frustrant de devoir rendre des photos brutes. Moi qui aime tellement leur donner de la vie en post-traitement, j’aurais aimé pouvoir tout retoucher à ma façon. Ça m’a au moins permis de voir à quel point j’aime ce métier de A à Z, de la prise de vue au traitement. Bon en vrai, le fait de ne pas avoir à faire le tri m’arrange quand même bien vu mon efficacité en la matière.
Bref, c’était des grosses, GROSSES journées, levée 5h et pas couchée avant minuit. C’était le bonheur quand on restait deux jours d’affilé au même endroit et qu’on n’avait pas à replier la tente à 5h (bien souvent sous la tempête de sable) et à l’installer en arrivant après une journée dans un 4×4 à courir dans les dunes avec 6 kilos de matos sur les épaules. Vous l’aurez compris, mon corps en a bavé et j’ai pris un abonnement chez l’ostéo en rentrant ! Mais à côté de ça…
Je crois que je ne m’étais jamais posé la question de ce qu’il pouvait y avoir autour du désert… Pour moi le Sahara c’était Aladdin quand il découvre la lampe, du sable à perte de vue mais aucune idée de la « limite ». Quand j’ai aperçu les dunes au loin j’ai trouvé ça complètement dingue, on aurait dit un décor de cinéma posé là pour les besoins d’un film. D’un coup d’un seul voilà une énorme bande de sable. On a l’impression que c’est tout petit et puis une fois dedans, on en voit plus les limites, on a l’impression que le désert se prolonge à l’infini…
La première épreuve dans les dunes était magique… J’ai eu la chance d’être en charge du parcours le plus difficile et grâce à ça j’ai pu voir des décors de folie. J’avais avec moi un super pilote (chaque photographe a un pilote attitré pour la journée et une « petite » liste de concurrentes à prendre en photos) et un(e) super journaliste qui m’ont énormément aidé ! C’était difficile mais tellement fou et incroyable comme décor. Et puis de voir les filles arriver aux balises et s’effondrer de joie, je peux vous dire que j’ai pleuré pas mal de fois pendant ces deux semaines !
C’était vraiment magique de vivre toute ces émotions avec les concurrentes, de les voir se dépasser, être fières d’elles-même. Dès le premier jour, au départ de France avec les premières larmes, les premiers câlins, j’ai compris que ma mission n’allait pas se résumer à du sport automobile. Oui il fallait de belles actions, des gerbes de sables et des paysages de dingues, mais j’avais surtout envie que les filles se souviennent de toutes ces émotions ressenties et partagées.
Bon et comme ça on a l’impression qu’il faisait tout le temps beau et chaud mais en vrai ça caillait plutôt pas mal (moins une fois descendus plus au Sud) ! On a eu droit à de bonnes tempêtes de sable, merci le masque de ski, et le pompon ça a été la nuit où il a plu des torrents d’eau, j’ai ouvert un peu les yeux et je me rappelle m’être dit « waoaw, elle est super étanche ma tente »… Tu parles, au petit matin quand le réveil a sonné et que j’ai tapoté à côté de mon matelas ça a fait « plof plof ». Elle est bien étanche mais jusqu’à un certain point. C’était la cata, tout le bivouac était dans la boue, le terrain impraticable pour les filles, l’épreuve a été annulée et on a a du passer la journée en dehors du camp le temps que tout soit remis en état, on est donc allés au village le plus proche… L’occasion de faire une pause dans ce rythme effréné !
Je vais me répéter mais qu’est-ce que je me sens chanceuse des personnes avec qui j’ai partagé cette aventure. C’est vraiment difficile physiquement mais moralement, waow. Que ce soit les participantes qui étaient super reconnaissantes (y avait une petite télé au camp où on pouvait voir les photos de la journée défiler, du coup souvent elles venaient me remercier d’avoir su capter tous ces petits moments importants) ou mes trois compagnons de route avec qui j’ai partagé tellement de belles choses et qui ont rendu ma mission tellement plus facile. C’est impossible de poser des mots à la hauteur de ce qu’ils m’ont apporté.
Pour la dernière étape de deux jours, on est retournés dans le désert de sable, encore plus fou, encore plus grand. On y a dormi en petits groupes. Voir le soleil se coucher et se lever sur les dunes du Sahara est incroyable. En vrai je crois que les moments les plus mémorables à mes yeux sont les pauses pipi haha. Oui parce que tout va tellement vite dans la journée qu’on a du mal à réaliser ce qui nous arrive. Mais je peux vous assurer que quand vous vous arrêtez trente secondes pour un pipi en bas d’une dune et que vous avez devant vous toute l’immensité du Sahara. Waow. C’était de beaux moments de contemplation haha.
Bon et je vais m’arrêter là, il y aurait bien trop à dire et à raconter. Tout ce que je peux rajouter, c’est que c’était incroyable. J’ai rencontré des femmes tellement fortes, déterminées, qui se sont dépassées sous mes yeux, qui étaient d’une bienveillance folle malgré les journées éprouvantes qu’elles vivaient. Je garde en tête ces petits mots de chacune le dernier soir à la remise des prix, ces « mercis« , c’est « on était tellement contentes de te voir en arrivant à la balise, ça nous faisait trop du bien« .
C’est marrant comme ce reportage me faisait un peu peur par mon inexpérience en la matière et qu’au final, je l’ai vécu exactement comme tous mes reportages, à juste être là pour capter l’émotion, les moments intenses, les moments paisibles… J’ai eu l’impression de vivre 15 mariages d’affilés, à pleurer, à rire, (à souffrir). J’ai eu les mêmes retours tellement positifs sur ma présence au-delà du résultat des photos. Bref, c’était magique.
Pour voir le reportage côté « pro » c’est ici.
Cette édition a été dédiée à Nasrin Sotoudeh, avocate iranienne et militante des droits de l’Homme condamnée à une lourde peine de prison et des coups de fouets en Iran pour avoir, entre autres, défendu des femmes qui ont retiré leur foulard en public. Une pétition en soutien est à signer ici.